NEPHILIM O. APRIES ft. GABRIELE COLANTONIO
Venise représente beaucoup de choses : un passé glorieux, un présent attractif et un futur au destin certainement tragique. Gabriele aime les richesses de sa ville bien-aimée, chaque jour elle lui fait découvrir quelque chose de nouveau, d'insolite. Et cela depuis vingt-sept ans. Jamais il ne se lasse de la contempler, magnifique, habillée de sa lagune, endossant sa plus belle parure lors du carnaval, resplendissante. Elle peut être passe-partout comme tape-à-l’œil, calme et douce comme vicieuse et sans pitié ou encore modeste comme riche. Ah, la richesse. Sujet redondant chez Gabriele. Celui-ci aime beaucoup flâner dans les quartiers, observer la misère dans laquelle il a grandi ou bien l'aisance qu'ont les autres et qu'il cherche à atteindre. Envieux. Qui ne rêve pas, au moins un tout petit peu, de mettre un pied dans la caverne d'Ali Baba, même si ce n'est qu'éphémère ? Lui en est encore au stade où il ne fait plus partie d'aucun des deux milieux. Il ère, attendant paresseusement que le destin lui fasse un signe.
Et donc en ce beau jour, sa contemplation se tournait vers Saint-Marc. LE quartier touristique et riche de Venise. Gabriele était planté au milieu d'une petite place, où la vie grouillait autour de lui, les gens étaient des flux pleins d'émotions. Qu'est-ce qu'il ressentait lui ? L'envie. Encore et toujours la même chose. La plupart des personnes voit la vénalité comme un pêché, quelque chose de malsain. Mais il n'est en rien plus malsain que d'autres préférences. Chacun son vice et Gabriele assume et revendique totalement le sien. Oui, il était prêt à tuer pour qu'Alexei lui verse de l'or sur la tête. Et alors quoi ? Le but des organisations qu'est la fontaine de Jouvence était-il moins fou ou bien moins tordu que ses motivations à lui ? Non. C'était du pareil au même.
L'or brillait en faisant face au soleil rayonnant sur la cité, majestueux. Il donnait cet air un peu trop précieux, mais aussi sombre. Car aussi flamboyante Venise soit-elle, il y avait bien des années que les ombres tâchaient ses couleurs immaculées. Rouge. Couleur aux significations multiples, elle recouvrait les rues et murs de la ville de plus en plus souvent, épinglée d'une grande cause. Et personne n'est à l'abri du rouge. Pas même Gabriele. Pas même Alexei. Personne. Et si seulement l'homme qu'il était ne s'était pas égaré dans ses contemplations, il aurait pu s'éviter des rencontres – bonnes ou mauvaises. Chacun ses faiblesses, celle de Gabriele étant de trop s'adonner à ce qui lui tient à cœur. Assez philosophe dans l'âme, au fond, la place où il se trouvait se prêtait très bien à son état du moment : le café Florian, lieu de rameute des têtes pensantes et contemplatives de la vie.
Brusque retour à la réalité : un bruit familier se manifesta derrière lui. Gabriele sursauta un petit peu tout en se tournant vivement pour faire face à ce qu'il se passait. Un mec, certainement tout aussi louche que lui-même, se faisait fouiller. La police. Sa meilleure amante apparemment. Il grimaça légèrement. Le policier à l’œuvre extirpa de sous la veste de l'autre mec un flingue. Gabriele haussa un sourcil. Mais cette expression un peu interrogative se transforma en incompréhension totale. Ses yeux s'écarquillèrent lorsque ledit policier asséna un high kick monumental dans l'abdomen de l'autre mec. Quelques cris outrés de passants s'élevèrent, puis la vie reprit son cours. L'Altar était à la fois amusé et peiné de la situation. Attristé car ce genre de choses est banal dans le monde d'aujourd'hui. Venise est devenue sale. Gabriele ferma les yeux un instant, refoulant un grand sentiment de tristesse.
La policier quant à lui était retourné tranquillement à sa table, sur la terrasse du Florian, son café et son en-cas trônant sagement. Il choisit d'ignorer son action, moins il avait de dialogue avec son amante, mieux c'était. Sans plus de cérémonie, il s'attela à dégager de l'endroit, finalement désintéressé du côté riche de la ville pour aujourd'hui. Gabriele passa devant la table du policier mais celui-ci décida au final qu'il fallait bousculer ses choix. Il soupira intérieurement.
« Je ne sais pas si c’est vous qu’il visait. Mais le monsieur qui vient de perdre subitement son équilibre ne risque pas de pouvoir marcher avant un petit moment. J’y suis sans doute allé un peu fort… »
Gabriele ne savait pas non plus lui-même si cette arme et les balles qu'elle contenait lui était destiné. A vrai dire, cela ne paraissait pas impossible mais il n'avait pas prêté plus d'attention au visage de son potentiel agresseur, sans doute un pion insignifiant à qui on a demandé de faire le sale boulot. Rictus intérieur.
« Fiou, tellement gratuit ! » répliqua-t-il après s'être arrêté avec un petit sourire – bien trop forcé à son goût. « La police m'étonnera toujours ! »
L'ignorer aurait suscité certainement une sorte d'intrigue chez le policier, et Gabriele n'avait vraiment pas envie de jouer à la course-poursuite maintenant. Chez les bleus, il avait déjà cette chère Clélia qui lui collait aux talons et ne ratait jamais une occasion de jouer à chien et chat, ce qui faisait de lui un visage plutôt familier des forces de l'ordre. Aussi, finalement, arborer le masque habituel de la comédie lui sembla être la meilleure solution. Pas que ce ne soit pas naturel, mais disons que ça passait toujours bien. Ainsi, Gabriele s'attela à faire preuve d'imagination, d'humour et de bonne humeur.
« Ca t'arrive souvent de faire ce genre de trucs ? Non parce que franchement, je sais pas si je dois me sentir en sécurité ou en danger avec toi là hoho. » continua-t-il, les poings sur les hanches.
Le vouvoiement est quelque chose de rare chez Gabriele, disons que pour lui il ne devrait pas y avoir de hiérarchie puisque lui-même est détenteur de titres/rôles/positions – rayez la mention inutile – qui font de lui un paradoxe complet. ANARCHIE. Non en fait, il ne s'agit aucunement d'un appel à la rébellion, l'Altar ne milite pas pour ses convictions, il vit juste comme il l'entend et les autres aussi. Les choix ne se discutent pas, mais au fond, on peut facilement les pousser à changer. Pouvoir, argent, corruption, pourriture.